danae - who are you in the dark ?

« Les enfants… Asseyez-vous, il faut qu’on parle. » Du haut de leurs onze ans, les jumeaux avaient déjà participé à bon nombre de réunions de famille, mais cette fois-ci, ils pouvaient deviner rien qu’à la voix tremblante de leur père que ça n’allait pas être une partie de plaisir. Pas que les réunions de familles habituelles étaient à mourir de rire – si seulement – mais leur monotonie implacable n’annonçait jamais rien de grave. Danae lança un rapide coup d’œil à son frère, qui semblait totalement sur la même longueur d’onde qu’elle, ce qui n’eut pour effet que d’intensifier son angoisse naissante. « Les enfants... » Boum. Boum. « Papy a rejoint les nuages, aujourd’hui. Il est mort. Je... je suis tellement désolé... »


Son cœur battait beaucoup, mais alors beaucoup trop vite. La main qu’avait posée son frère sur la sienne n’atténuait en rien le choc de l’annonce ; au contraire, ça ne faisait qu’accentuer sa peine. Les excuses incessantes de leur père auraient pu donner à Danae l’envie de hurler, mais son ouïe était désormais devenue aussi floue que sa vue, brouillée par les larmes. Elle était dans un état second, comme enfermée dans une bulle qui n’inclurait qu’elle et son âme. Pour dire, si son père n’avait pas passé sa main sur le visage si triste de sa fille, Danae n’aurait jamais remarqué qu’elle pleurait bruyamment toutes les larmes de son corps. Dans d’autres contextes, on lui reprochait souvent cette sensibilité un peu trop prononcée, mais c’était tout simplement dans sa nature. Sujette au stress et à l’angoisse depuis toute petite, elle n’a  toujours eu qu’un seul mot en tête lorsque les crises deviennent indomptables.
Respire.
Respire.
Respire. Comme si tout pouvait s’arranger si seulement elle daignait respirer un peu plus fort.
Alors, comme d’habitude, elle a relevé la tête en prenant une grande inspiration. Elle ne pouvait pas s’effondrer, pas là, pas comme ça. Malgré son jeune âge, elle avait l’impression qu’elle devait avoir les épaules solides, peu importe les circonstances. Une tristesse infinie noyait son cœur, tandis qu’un sourire à peine perceptible se fit une timide place sur son visage larmoyant. « Il est au Paradis, maintenant ? » Ça pouvait lui arriver de prendre la voix qu’une gamine de cinq ans, notamment quand le chagrin lui tordait l’estomac. Néanmoins, à cette question enfantine, son père hocha la tête, tout en serrant ses deux trésors dans ses bras protecteurs.

Danae avait fini par s’adapter. Elle avait abandonné depuis longtemps l’espoir que son grand-père adoré ressuscite, l’innocence de l’enfance s’étant totalement envolée. En revanche, les angoisses liées au lycée ne l’avaient pas laissée tomber, elles.
Déjà, les notes. Une source de stress parfois ingérable pour une jeune femme qui a pour but d’intégrer une des plus grandes universités du pays, dans l’espoir de devenir vétérinaire. Première de sa classe depuis toujours, Danae s’est révélée être une élève acharnée et perfectionniste (parfois trop), au grand agacement des ses petits camarades. Surnommée « l’intello », la brune a pas mal de temps été moquée par les autres élèves, surtout pendant le collège, a.k.a l’enfer sur Terre. Mais il faut dire qu’avoir un frère jumeau assez populaire est plutôt pratique dans ce genre de situation. Et puis, au fur et à mesure qu’elle prenait de l’âge, Danae a fini par apprendre à ne plus se laisser marcher sur les pieds et à se défendre toute seule. Elle n’était pas devenue une « grande gueule » comme on aime les appeler, loin de là, mais disons qu’elle avait désormais trouvé le courage de répondre à ses potentiels détracteurs, bien qu’elle n’en ait plus vraiment. En effet, en entrant au lycée, Danae s’est malgré elle forgée une nouvelle image, assez décalée de la réalité il faut le dire ; celle d’une fille qui, en plus d’être souriante, confiante, jolie et intelligente, est l’une des figures les plus importantes de l’équipe de cheerleaders de son lycée, et c’est peut-être la seule chose qu’elle trouve bien chez elle. Parce que, certes, elle un tas d’autres qualités (et de défauts, cela va de soi), mais encore faudrait-il qu’elle s’en rende compte. C’est bien beau d’être complimenté sur sa personne, mais quand on est persuadée d’être tantôt trop maigre, tantôt trop grosse, tantôt trop-ci, tantôt trop ça, c’est compliqué de penser qu’on est juste bien comme on est.
Alors, c’est vrai que le sport l’aide beaucoup à se sentir bien dans sa peau le temps d’un entraînement, mais une fois les pompons dans le placard, elle se sent totalement démunie. Et ça lui brise tellement le cœur, parce qu’elle ne sait même pas pourquoi elle est comme ça. Elle aimerait être comme toutes les autres filles de son âge, à croquer la vie à pleines dents, à la kiffer comme il se doit, mais c’est hors de ses forces. Elle a beau être bien entourée, par une famille aimante, par des amis formidables, il lui manque toujours quelque chose. Cette chose, c’est l’amour ; et pas de la part d’un(e) hypothétique petit(e)-ami(e), mais bien